Apport de la Neuro-Imagerie Fonctionnelle Cérébrale (NIFC)
à la compréhension de la Fibromyalgie (FMS)

La fibromyalgie n'est donc plus une maladie imaginaire, "c'est dans la tête" nous dit-on trop souvent, "cesses de t'écouter" ... avec l'apport des neuro sciences, de l'imagerie médicale, la douleur est désormais visible, matérialisée ...
Les propos ci-dessous, sont pour le moins techniques, mais je pense que les fibromyalgiques, comme moi, vont comprendre cela, ou plutôt vont le ressentir comme une "délivrance".
Oui c'est dans la tête, mais pas comme nombre de personnes le pense.
L'exposé ci-après du Docteur Jean-François Marc va nous le prouver.
Le FMS est défini depuis 1990 par des critères de l’American College of
Rheumatology (ACR) comme un état douloureux musculosquelettique spontané diffus
bilatéral évoluant depuis plus de trois mois associé à la présence de minimum 11
points tendinomusculaires d’examen sur 18 sites répertoriés.
Cette définition a permis des études épidémiologiques qui ont validé
rétrospectivement ces critères de classification. Le FMS est retrouvé dans 2 %
de la population des USA (2) et d’après une étude récente estimée à 4,34 % en
France avec une prédominance féminine de 80 %.
Bien que reconnu comme entité syndromique par la WHO (OMS) depuis 1992 dans
sa 10ème révision de la classification internationale des maladies (CIM) au
chapitre des maladies rhumatismales non articulaires de cause inconnue sous le
code alphanumérique M79-0, le FMS fait l’objet de controverses quant à son
existence même.
La critique fibrosceptique a stimulé la vingtaine d’équipes qui travaillent
depuis un peu plus de 10 ans sur la cartographie anatomique et fonctionnelle de
la douleur.
Les progrès considérables de la NIFC ont permis de prouver la réalité de la
douleur des patients FMS et de proposer une nouvelle compréhension de ce
syndrome sous l’angle des neurosciences .
Les Moyens Techniques de la NIFC
La NIFC regroupe les moyens permettant d’obtenir des images de l’activité
cérébrale (fonction) couplés à des examens de cartographie anatomique du cerveau
(Tomodensitométrie ou IRM structurale à protons).
A l’heure actuelle, il existe 3 outils principaux : IRM f, TEP, TESP.
IRM f : Imagerie par Résonance Magnétique Nucléaire fonctionnelle :
traceur: taux d’O2 sérique régional,
mesure indirecte par anticipation métabolique du DSCr (débit sanguin cérébral régional ) : effet BOLD (blood level oxygen dépendent ).
très bonne résolution spatiale et temporelle
pas de mesure quantitative précise du DSCr. Pas de mesure du débit de ligne de base.
PET-Scan : Tomographie par émissions de positons (TEP) :
SPECT : Tomographie par émission simple de photons (TESP) :
deux techniques d’imageries fonctionnelles utilisant un traceur radioactif par voie intraveineuse ou par inhalation mesurant directement le DSCr
la PET est plus précise que la SPECT et pour la PET il est possible d’ étudier le métabolisme du glucose dans les neurones. Il existe un plus grand choix de traceurs pour la PET (11 C dynorphine pour les récepteurs endogènes opioïdes p ex).
Images co-enregistrées avec les images d’IRM anatomique du cerveau.
Possibilité de DSCr de ligne de base (repos).
La douleur chronique
La douleur chronique comporte deux composantes:
Somato-sensorielle
Affectivo-émotionnelle
La théorie initiale d’un traitement parallèle de la gestion des deux
composantes de la douleur chronique par des régions distinctes du cerveau a
vécu … on parle maintenant de matrice neuronale.
La matrice neuronale de la douleur regroupe un:ensemble de régions du
cerveau impliquées dans le traitement de la douleur provoquée. La NIFC a
identifié :
Anomalies dans le syndrome de fibromyalgie (
FMS)
Les premières études en SPECT ont retrouvé une diminution au repos des DSCr dans le thalamus et le noyau caudé
Les études suivantes en IRM f ont démontré une augmentation des DSCr et un recrutement spatial plus étendu des régions
du traitement de la douleur à la pression lors de stimuli répétés par rapport
aux témoins en RMI f.
Ces Aires recrutées pour la gestion de la douleur nociceptive dans le FMS
sont celles de la matrice neuronale de la douleur provoquée (thermique
,mécanique,électrique). On constate une activation anormale :
Un réseau a été identifié mais les fonctions de chaque région restent mal
déterminées en raison des limites temporelles et surtout spatiales de l’IRM
f
S1 S2 ont un rôle certain dans la discrimination algique (versant sensoriel )
: localisation, intensité, type de la douleur
CCA: aire associée au
caractère affectif de la douleur par son appartenance au système limbique
(versant affectif).
IA: intègre les signaux nociceptifs dans les émotions et la mémoire
(identification de la menace potentielle par la douleur perçue )
IA et CCA :
sont impliquées dans la bascule attentionnelle - réponse motrice (comportement
d’alerte –action : « geste ou parole »)
Th : véritable « gare de triage
neurosensoriel » et porte d’entrée du cortex supérieur : thalamus latéral vers
le cortex pariétal somatosensitif ,thalamus médial vers le cortex préfrontal.
L’activation de certaines de ces structures pendant l’anticipation et
l’évocation mentale volontaire de la douleur suggère qu’elles sont impliquées
dans la représentation de la douleur, même en absence de stimulation
nociceptive.
Le champ des découvertes reste très vaste avec démonstration récente en
éléctrophysiologie cérébrale couplée à L’IRM du rôle essentiel de l’attention à
un stimulus répété pour la perception même de celui-ci .
 |
IRM F : vue sagitales |
 |
IRM f : vues coronales |
 |
IRM f : vues axiales |
Dans l’avenir l’ IRM 3D anatomique et fonctionnelle en champ magnétique
intense ( Neurospin°) permettra d’analyser le fonctionnement cérébral à
l’échelon de l’unité fonctionnelle de groupes de neurones et de mieux
cartographier les zones fonctionnelles .
L’IRM de diffusion utilisant les mouvements browniens de l’eau permettra de
mieux identifier les connexions intracérébrales
…
L’avenir est à la connaissance intime du fonctionnement cérébral.
Syndrome dépressif (SD)
La dépression ou le pessimisme peuvent augmenter l’activité neuronale du CCA
et de l’IA (versant affectif et émotionnel de la douleur ) et altérer la
perception douloureuse mais n’ont pas d’effet sur le versant somatosensoriel S1
S2.
Les études d’imagerie cérébrale ont aussi démontré que les patients atteints
de dépressions sévères ont une diminution du volume des deux hippocampes et du
cortex préfrontal .Cette atrophie pourrait être due à une perte neuronale
induite par les épisodes récurrents de dépression. Il semblerait même que le
degré d’atrophie de l’hippocampe soit proportionnel à la somme des durées des
épisodes de dépression (véritable « cicatrice anatomique » de chaque épisode
dépressif ),
les dépressions qui sont traitées rapidement n’entraînent pas cette
diminution du volume de l’hippocampe et du cortex préfrontal.
Bien que la dépression amène une diminution globale de l’activité cérébrale,
certaines régions sont particulièrement touchées par cette baisse d’activité,
c’est le cortex préfrontal gauche qui montre le plus de signe de faiblesse. Le
cortex préfrontal gauche pourrait chez la personne normale contribuer à inhiber
les émotions négatives générées par des structures limbiques comme les amygdales
qui montrent une activité anormalement élevée chez les patients en dépression.
Une activité qui diminue d’ailleurs chez les personnes qui répondent
positivement à un traitement aux antidépresseurs. Et lorsque cette hyperactivité
de l’amygdale demeure élevée malgré les traitements, elle est alors associée à
des fortes possibilités de rechute dans la dépression
Les deux moitiés du
cortex préfrontal semblent aussi avoir des fonctions spécialisées, le cortex
préfrontal gauche étant impliqué dans l’établissement de sentiments positifs, et
le droit dans celui de sentiment négatifs.
FMS et SD
Il n’existe pas de différence des activations neuronales lors d’expériences
de douleurs provoquées dans les sous groupes FMS avec syndrome dépressif et FMS
sans SD.
la dépression n’influence pas la douleur à la pression ressentie par les
personnes souffrant de fibromyalgie.
Conclusion
La NIFC a permis d’apporter les preuves objectives de l’hyperalgésie à la
pression et de la réalité de la douleur diffuse chronique des patientes
fibromyalgiques. La douleur ressentie à la pression est indépendante d’un état
de dépression.
Les anomalies cérébrales (intégration de la douleur) n’objectivent qu’un des
mécanismes des dérèglements nociceptifs constatés dans la Fibromyalgie à côté
des anomalies des voies ascendantes facilitatrices (transmission )du système
spino-(réticulo)-thalamique et des anomalies des voies descendantes inhibitrices
(modulation) :
hypothalamus, substance grise périacqueducale, raphé magnus,
cordon postérieur médullaire dorsal, neuromédiateurs : 5-HTP, NA et opioïdes
endogènes.
Le FMS apparaît donc comme l’expression somatique d’un désordre des voies
de la douleur nociceptive déclenché par un stress physique ou psychologique sur
un terrain prédisposé génétique ou acquis.
Cependant la neuro-imagerie fonctionnelle cérébrale ne présente pas de
sensibilité et de spécificité suffisante pour envisager une utilisation
diagnostic individuelle.
Dr Jean-François MARC Rhumatologue
18 Novembre 2006
Bibliographie
(1) American College of Rheumatology .Criteria for the Classification of
Fibromyalgia. Arthritis Rheum.1990 33: 160–172
Official definition for FMS
syndrome. Subsequently expanded in 1992 by the Copenhagen Declaration: Consensus
Document on Fibromyalgia (Copenhagen Declaration 1992) .
(2) Wolfe F., Ross
K. et al. The prevalence and characteristics of fibromyalgia in the general
population. Arthritis Rheum. 1995 ; 38 : 19-28
(2) Branco J.C., Saraiva F. et
al. Fibromyalgia Syndrom : A european epidemiological survey. Abstract Sat. 0452
Eular 2005
(3) P.Cathebras . La fibromyalgie doit-elle passer le siècle ?
(Fibromyalgia , can it last the century ) Rev.Med.Interne (Paris ) , 2000 ,21
:377-9
(4) G.E.Erlich . Pain is real,fibromyalgia isn’t ? J.Rheumatol. ,
2003, 30:1666-7
(5) N.M.Hadler .Fibromyalgia and the medicalization of misery
. J.Rheumatol ,2003, 30: 1668-70
(6) D.L.Goldenberg .Fibromyalgia: to
diagnose or not .Is that still the question ? J.Rheumatol ,2004,,
31:633-5
(7) D.A.Gordon .Fibromyalgia: real or imagined ? J.Rheumatol ,2004,
31: 173
(8) R.Peyron, L.García-Larrea , B.Laurent . Functional imaging of
brain responses to pain. A review . Neurophysiol Clin ,2000 : 30: 263-288.
(9) B. Laurent, R. Peyron. Intégration corticale de la douleur :apports de
l’imagerie . Dossier, La lettre de l’institut Upsa de la douleur , Juin 2002 N°
17
(10) Mountz JM, Bradley LA, Modell JG, Alexander RW, Triana-Alexander M,
Aaron LA et al. Fibromyalgia in women. Abnormalities of regional cerebral blood
flow in the thalamus and the caudate nucleus are associated with low pain
threshold levels. Arthritis & Rheumatism 1995; 38(7) : 926-938.
(11)
Gracely RH, Petzke F, Wolf JM, Clauw DJ. Functional magnetic resonance imaging
evidence of augmented pain processing in fibromyalgia. Arthritis and Rheumatism
2002; 46(5):1333-1343.
(12) Gracely RH, Geisser ME, Giesecke T, Grant MA,
Petzke F, Williams DA et al. Pain catastrophizing and neural responses to pain
among persons with fibromyalgia. Brain 2004; 127(Pt 4) : 835-843.
(13) Cook D
et coll. Functional Imaging of Pain in patients with primary
Fibromyalgia,J.Rheumatol 2004,31(2) : 364-78
(14) Casey KL, Minoshima S,
Berger KL, Koeppe RA, Morrow TJ, Frey KA. Positron emission tomographic analysis
of cerebral structures activated specifically by repetitive noxious heat
stimuli. Journal of Neurophysiology 1994; 71(2):802-807.
(15) Davis KD, Kwan
CL, Crawley AP, Mikulis DJ. Functional MRI study of thalamic and cortical
activations evoked by cutaneous heat, cold, and tactile stimuli. Journal of
Neurophysiology 1998; 80(3) :1533-1546.
(16) Coghill RC, Sang CN, Maisog JM,
Iadarola MJ. Pain intensity processing within the human brain : A bilateral,
distributed mechanism. Journal of Neurophysiology 1999; 82(4):1934-1943.
(17) Bornhovd K, Quante M, Glauche V, Bromm B, Weiller C, Buchel C. Painful
stimuli evoke different stimulus-response functions in the amygdala, prefrontal,
insula and somatosensory cortex: a single-trial fMRI study. Brain 2002; 125(Pt
6):1326-1336.
(18) C.A.Porro , P.Baraldi , G.Pagnoni ,M.Serafini , P.Facchin
, M.Maieron,P.Nichelli . Does anticipation of pain affect cortical nociceptive
systems? J.Neurosci., 2002 22,3206-3214.
(19) S. Dehaene, M. Kergsberg, J.
P. Changeux. A neuronal model of a global workspace in effortful cognitive
tasks. {Proceedings of the National Academy of Sciences USA}, 95:14529-14534,
1998.
(20) S. Dehaene, C.Sergent, J.P.Changeux. A neuronal network model
linking subjective reports and objective physiological data during conscious
perception. {Proceedings of the National Academy of Sciences USA},
100:8520-8525, 2003
(21) T.Frool,E.M.Meisenzahl,T.Zetzche. Hippocampal and
amygdalo changes in patients with major depressive disorder and healthy control
during a 1-year follow up.Journal Clinical Psychiatry,2004,65:492-499
(22)
K.Vakili ,S.S. Pillay ,B. Lafer ,M. Fava , P.E.Renshaw , C.M.Bonello-Cintron
,D.A.Yurgelun-Todd . Hippocampal volume in primary unipolar major depression: a
magnetic resonance imaging study. Biol Psychiatry,2000,47:1087–1090.
(23)
Giesecke T, Clauw DJ, Grant MAB, Williams DA, Gracely RH. The effect of
depression and depressive symptomatology on functional MRI (fMRI) of pain
processing in patients with fibromyalgia (FM). Arthritis and Rheumatism 2003;
48(9):S236.
(24) Giesecke T, Clauw DJ, Ambrose KR, Lyden AK, Williams DA,
Gracely RH. Does depression influence mechanical hyperalgesia/allodynia in
patients with fibromyalgia (FM)? Arthritis and Rheumatism 2003; 48(9):S86.
(25) Tracey I., Ploghaus A., Gati J., Clare S., Smith S., Menon R., ,
Matthews M. Imaging Attentional Modulation of Pain in the Periaqueductal Gray in
Humans. The Journal of Neuroscience, 2002,22 (7) :2748–2752
(26) Petrovic P.,
Kalso E., Petersson K.M., Ingvar M. Placebo and Opioid Analgesia – Imaging a
Shared Neuronal Network. Science express report 2002. 2/10.1126.
(27)T.D.Wager,J.K.Rilling,E.E.Smith,A.Sokolok,K.L.Casey,R.J.Davidson, S.M.Kosslyn,R.M.Rose,J.D.Cohen. Placebo:induced changes in MRI in the
anticipation and experience of pain.Science,2004,vol 303
(28) S.Bantick ,
R.Wise , A.Plohaus ,S.Clare,I.Tracey . Imagine how attention modulates pain in
humans using functional MRI. Brain 2002, 125, 310-319
(29) P.Rainville et
al. L’expérience douloureuse et sa modulation cognitive : apport de l’imagerie
cérébrale fonctionnelle. Quatrième Conférence Internationale de l’Institut UPSA
de la Douleur. Montpellier, 19 novembre 2004